Header Ads Widget

Ticker

6/recent/ticker-posts

A propos de l'incendie d'une carte postale

On sait que la flèche qui a brûlé, et la gargouille qui est tombée sont des inventions de Viollet-le-Duc et que d'une manière générale la Cathédrale icône du Paris touristique doit à cet architecte ami de Prosper Mérimée l'essentiel de l'apparence qu'elle a eue jusqu'à aujourd'hui. Ce Moyen-Age qui a ému tant de contemporains est donc une reconstitution dépendant de l'historiographie et de l'esthétique de la deuxième moitié du XIXe siècle. L'une et l'autre ont subi de sérieux assauts critiques depuis, mais un autre phénomène est intervenu, la patrimonialisation des bâtiments anciens, qui a figé définitivement dans la forme qu'on connaît Notre-Dame et tous les autres monuments réinterprétés par ce gros mytho de Viollet-le-Duc (du Mont Saint Michel aux remparts de Carcassone). Jusqu'au XIXe, on ne se gênait pas pour détruire et reconstruire. La Rome médiévale et baroque, celle des masures comme des palais, a été construite avec les pierres et les bouts de sculpture de la Rome antique. La possibilité de les repérer dans les bâtiments d'aujourd'hui est d'ailleurs un des attraits merveilleux de la Rome moderne. Pour en revenir à Notre-Dame,  en 1792, encore, on démontait la précédente flèche, qui avait une fonction de clocher, et que Viollet-le-Duc a remplacée par un simple ornement placé ailleurs. Le changement d'attitude à l'égard des monuments est dû largement à l'essor du romantisme, qui fut une réaction à la modernité industrielle. Le goût de ce mouvement esthétique international pour la nostalgie m'est cher: comme sentiment que le vrai beau, la vraie vie sont ailleurs, la nostalgie est un sentiment précieux, qui nourrit aussi bien la poésie que la passion révolutionnaire.  Le paradoxe est que, la civilisation industrielle sachant tout récupérer, le romantisme ait contribué au bout du compte, à transformer l'attrait du passé avec tout ce qu'il charrie de remise en cause du présent dans l'éternel présent de la marchandise.
J'ai vécu quarante ans à Paris et en quarante ans, je n'ai dû entrer qu'une fois ou deux dans la cathédrale, pour accompagner quelque parent en visite touristique. Sans doute ai-je raté quelques beaux moments d'émotion, mais il aurait fallu pour cela réussir à zigzaguer entre les horaires d'affluence, la contemplation solitaire et mystique à la Claudel derrière son pilier étant désormais un graal difficilement atteignable. Mais j'aimais la prendre par derrière, Notre Dame, avec son beau jardin et sa jupe de dentelle, sur un de ces trajets (en l'occurence Ile Saint-Louis, quais de Seine, rue de Savoie pour rendre visite à mon éditrice de toujours) qui m'ont fait sentir chez moi à Paris. Et j'aimais la silhouette de vaisseau échoué qu'elle donnait à l'île qui porte son nom. Bref, l'idée que Notre Dame a brûlé ne me laisse pas indifférent. Mais ça n'empêche pas de réfléchir à ce que c'est que l'authenticité (Lascaux 2 et 3 sont-ils moins beaux que le Lascaux désormais fermé au public? La chapelle sixtine restaurée est-elle plus vraie que celle que le temps et la crasse effaçaient?) et de critiquer ce qui formate le regard moderne,  et notre prétention à bloquer le passage du temps.   Ça n'empêche pas non plus de ricaner tristement devant la récupération malsaine de l'événement par les oligarques et leur mandataire de l'Elysée.
J'ai été horrifié par la destruction d'une partie de la Palmyre que j'avais tant aimée, pas tant par attachement aux vieilles pierres et à leur silhouette dans le ciel du désert, que par la haine d'un passé qui ne soit pas soi, que Daesh exprimait à la face du monde. Je suis tout autant dégoûté de la dictature du chagrin médiatiquement entretenu et politiquement récupéré. Et je perçois aussi le triomphe d'un présent que j'abbhore derrière une forme d'appropriation d'un passé transformé en décor de selfies.
 A une époque où l'on termine la Sagrada Familia, monument qui gagnait beaucoup à ne pas être achevé, les enjeux marchands sont trop forts pour qu'on envisage, ne fût-ce qu'un instant, l'idée qui eût été beaucoup plus belle esthétiquement et émotionnellement de garder Notre Dame en ruine. On va sans aucun doute la reconstruire à l'identique. Contribuant ainsi un peu plus à lui donner dans tout regard critique l'irréalité d'une icône, la réalité d'une carte postale.

Yorum Gönder

0 Yorumlar